Le Bistrot de St So à Lille : entre concerts payants et redressement judiciaire

On y boit, on y mange, on y danse... Le Bistrot de St So fait partie de ces lieux de sorties incontournables de Lille depuis son ouverture en 2009 dans la Gare Saint-Sauveur. Il faut dire que c'était là le souhait de la Ville de Lille qui en est propriétaire : en faire un spot vivant, accessible au grand public et qui offre une "programmation gratuite, diversifiée et de qualité."

"Programmation gratuite", c'est sur ce dernier point qu'a tilté Stéphane Baly des Verts, au dernier conseil municipal. Car depuis mars, Benjamin, Julien et Victor qui gèrent le lieu depuis 2022 à travers leur SAS l'Hirondelle, ont proposé trois concerts payants (les 22 mars, 28 mars et 18 avril) sous forme d'expérimentation autorisée par la Ville de Lille... alors que la gratuité fait partie des règles du contrat de concession (articles 2 et 4). En parallèle, l'Hirondelle est en redressement judiciaire depuis le 25 mars 2024. Coïncidence ? On a posé la question à Benjamin.

Pourquoi avoir programmé des concerts payants au Bistrot de St So ?

"Il y a deux raisons. La première est économique. Pouvoir organiser des concerts payants de temps à autre permet d'alléger nos dépenses. Agents de sécurité, salaires, programmation culturelle... tout ça coûte cher, et quelques dates rémunératrices permettent d'au moins payer la prog' musicale qui se compose quand même de 200 dates gratuites par an. La deuxième raison est qu'on voulait proposer quelques événements plus intimistes avec une jauge de 500-600 personnes au lieu des 1200 habituelles. Et ça nous permet aussi d'avoir des headliners un peu plus connus." 

L'expérimentation a-t-elle été concluante ?

"Les trois concerts ont bien fonctionné. À chaque fois, on atteignait les 500 personnes, ce qui nous permettait d'être rentable. On avait prévu un quatrième concert le 9 mai, mais la mairie nous a dit que ça ne pouvait pas être une date payante, notamment par rapport à la saison Fiesta de lille3000. Et puis, il y a une autre raison qui n'est pas liée à la mairie, mais je préfère la garder pour moi. En tout cas, le concert est devenu gratuit en accord avec les artistes."

En mars 2024, vous avez décidé de placer l'Hirondelle en redressement judiciaire pour étaler vos dettes. Mais depuis combien de temps le Bistrot de St So galère financièrement ?

"Très rapidement quand on a pris les rênes du bar, ça a été compliqué. Six mois après l'ouverture, on a alerté la mairie en leur expliquant qu'il fallait qu'on discute, que les prévisions n'étaient pas bonnes à cause du contexte qui a évolué. 

Le covid a créé une nouvelle façon de consommer, le télétravail s'est généralisé, ce qui veut dire que les déjeuners et afterworks entre collègues ont diminué. Avec l'inflation, le prix des boissons n'absorbe plus nos dépenses. Et pour notre partie restauration, on n'a pas eu le droit d'augmenter les prix pendant un an, ce qui a constitué une perte supplémentaire pour nous. La décision de fermer les terrasses à 23h et minuit, qui a été pérennisée en mars 2022 [après expérimentation en 2021, ndlr], le manque d'expo à la Gare Saint-Sauveur l'année dernière (qui génère du passage) et la météo n'ont pas aidé non plus."

Certain·es Lillois·es reprochent à l'Hirondelle de proposer une programmation très tournée vers l'électro et la techno en dépit de la promesse d'une programmation plus éclectique en 2022. Que réponds-tu aux détracteurs ?

"Que le contexte économique et culturel n'est plus le même. La techno est dans l'ère du temps. C'est ce qui intéresse les étudiants, c'est ce qu'ils demandent. Le Bistrot de St So est rempli à ces moments-là contrairement aux autres styles musicaux. La deuxième raison est qu'un plateau de DJ coûte moins cher qu'un plateau de musique live, qui demande des locations supplémentaires et souvent plus de groupes sur scène et donc des cachets plus importants. "

L'adjointe à la culture Marie-Pierre Bresson, a expliqué avoir fait le choix d'être "soutenant" à l'égard de l'Hirondelle concernant l'expérimentation des concerts payants. Y a-t-il eu d'autres gestes de la mairie par rapport à votre situation économique ?

"Pas encore. On doit débriefer avec le service culture concernant l'expérimentation déjà. C'est la Ville qui décidera si on pourra en refaire ou non... mais bon, on est en période pré-électorale. Nous on veut que ça continue, et ça n'empêchera pas d'avoir une très grande majorité de concerts gratuits. On veut que les conditions d'usage du lieu soient adaptées, qu'on ait plus de flexibilité."

Le contrat de concession avec l'Hirondelle se termine en décembre 2027. Est-ce que tu veux continuer à gérer le bistrot d'ici là, et est-ce que tu penses y arriver ?

"Bien sûr que oui ! On a mis les tripes et les boyaux, de l'investissement personnel et financier dans ce projet. Il ne faut pas croire, on est tenace. Et on refuse de partir sur un échec.