[Flashback] Quand des Nordistes en colère ont fait annuler une étape du Tour de France en 1982
Aurore Garot,
3 min de lecture
04 juil. 2025,
Flashback, Sueur
@Archive de La Voix du Nord
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Le Tour de France est sacré ? Pas pour les sidérurgistes de l'ex-usine Usinor de Denain. Le 7 juillet 1982, un groupe de 250 métallos a réussi à faire stopper une étape, pour faire valoir leurs droits. On vous raconte cette histoire folle à l'occasion du Grand Départ à Lille, ce samedi 5 juillet.
"On n'énerve pas les sidérurgistes de Denain." En 1982, la 69e édition du Tour de France en a fait les frais, bien malgré elle. Et pour tout vous dire, l'histoire qu'on vous raconte aujourd'hui est devenue bien plus qu'une petite anecdote de cyclisme. Elle a véritablement marqué au fer rouge l'événement sportif et la région. Il faut dire que c'était la première fois qu'une étape du Tour était tout bonnement annulée en cours de route.
"La caravane passe, le temps passe.... mais pas les coureurs"
Mais remontons dans le temps et plantons le décor. Nous sommes le 7 juillet 1982 et la 5e étape du Tour de France doit se tenir dans deux nouvelles villes-étapes : Orchies et Fontaine-au-Pire. Les coureurs doivent partir par équipe pour une course contre la montre. "J'avais 15-16 ans, j'étais avec mes potes sur la place de la mairie de Saint Python", raconte Bernard, un habitant du Cambrésis. "Moi, j'avais 14 ans et j'étais à Beauvois depuis tôt le matin avec ma famille pour avoir les meilleures places, indique Valérie, sa femme. On avait ramené des chaises, des boissons et une glacière. Pour une fois qu'il y avait quelque chose à côté de chez nous !"
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Bien installé·es, les deux Nordistes attendent l'arrivée des premiers athlètes à biclou. Sauf que "la caravane jaune passe, le temps passe.... mais pas les coureurs, raconte Valérie. On attend une heure, deux heures. Au début, on pensait juste qu'il y avait du retard." Pendant ce temps-là à Saint-Python, Bernard aussi trouve le temps long. "Et puis un gendarme à moto se gare près de moi et j'entends dans sa radio Tour que l'étape est annulée. Même lui n'y croit pas."
Une mauvaise nouvelle qui (ne) tombe (pas) à pic
La raison de cette annulation, iels l'apprendront dans la presse : 250 sidérurgistes d'Usinor se sont plantés sur la chaussée à Denain, pour empêcher les coureurs de passer. Les mots "Mauroy trahison" (il était alors Premier Ministre) sont scandés pour dénoncer un nouveau plan social massif qui supprimait 1141 postes dans l'usine de Denain. Une info qu'ils ont appris la veille de la course.
Page de La Voix du Nord, datant du 8 juillet 1982.
"On avait tous quelqu'un dans notre entourage qui bossait à Usinor, explique Bernard. On était en pleine crise industrielle, on savait tous que c'était chaud à Denain. Et les gars pouvaient être très violents s'il fallait défendre leur bout de pain. Ça tirait sur les CRS et ça faisait peur au gouvernement !"
Déjà en 1979, le Tour de France était à deux doigts de l'annulation, pour la 9e étape entre Amiens et Roubaix. À ce moment-là, 5 000 suppressions de postes avaient été annoncées, toujours chez Usinor. Et les manifestants de Denain avaient réussi à bloquer des véhicules publicitaires avant de se faire dégager violemment par les gendarmes.
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Une revanche en 1983
Alors bien sûr, la manif' de 1982 n'a pas plu à tout le monde. Et la surprise était unanime. "Il y en avait plein qui ne comprenaient pas comment on pouvait s'en prendre au Tour de France, surtout ici", se rappelle le Cambrésien.
Fontaine-au-Pire notamment était sous le choc, car les coureurs n'ont jamais pu atteindre la ligne d'arrivée. Mais finalement ce ne fut que partie remise. Car en 1983, les habitant·es de la petite commune ont enfin pu crier de joie en voyant les cyclistes posaient le pied à terre chez eux.