Êtes-vous déjà allé·es au Choroni ? Le restaurant du Vieux-Lille est un vrai paradis latino, avec ses plats traditionnels d'Amérique du Sud, ses tequila et mezcal de premier choix qui nous ont parfois fait rentrer chez nous plus joyeusement que d'habitude, et son ambiance. Tous les vendredi et samedi, Cheo invite des groupes sud-américains qui partagent leur musique pleine d'énergie et de couleurs. De quoi faire voyager celles et ceux qui n'ont jamais mis les pieds sur le continent sud-américain... et rappeler aux autres qui l'ont quitté, les saveurs de leur pays.

Cheo lui, a fui le Venezuela en 2013, sans jamais y retourner. "Mon pays me manque, mais c'est trop risqué d'y aller", explique-t-il. Car il fait partie de ces opposant·es politiques accusé·es de "terrorisme" par le gouvernement. Pourtant, des attentats, Cheo n'en a jamais fait, organisé ou soutenu. Ses seuls "défauts" ont été de manifester pacifiquement face à l'autoritarisme grandissant du pouvoir dans les années 2000, et d'aider les plus pauvres à se soigner.
Le Venezuela sous Chávez
Mais d'abord, faisons un petit point histoire. En 1998, Hugo Chávez, un militaire qui avait échoué à mener un coup d'État en 1992, est élu en 1998, dans un pays gangréné par la corruption et à la hausse des prix. "À ce moment-là, il est vu comme un messie, raconte Cheo, qui avait 13 ans. Il mène une campagne de vaccination dans les quartiers populaires, il veut mettre en place des projets sociaux..."
Mais plus les années passent, plus Cheo désenchante. "Il place des militaires dans les hauts postes du pays et la corruption atteint des sommets. La situation devient de plus en plus violente et la répression plus forte." Les opposant·es qui ont osé demander la révocation de sa présidence en 2003-2004 par référendum, sont tous·tes blacklisté·es (la liste Tascón). Dont la famille de Cheo qui ne peut même pas faire un prêt à la banque. "Certains devaient marcher pour lui en échange d'un sac de nourriture ou payer très cher pour ne plus apparaître sur cette liste."
Cheo, étudiant et infirmier engagé
Dans ce contexte, Cheo milite "à la fac, dans la Fédération des Centres Universitaires qui représente les étudiants et qui organise des manifestations pacifiques contre le pouvoir", se souvient-il. Face aux "gens de Chávez" qui s'incrustent dans les rassemblements pour les perturber et justifier une répression violente, il va même jusqu'à intégrer des groupes de vigilances pour établir des périmètres de sécurité.
Devenu infirmier à domicile, il continue de lutter mais différemment. "Je soignais à moindre prix ceux qui n'avaient pas d'argent, je collectais du matériel que les hôpitaux privés n'utilisaient pas pour les donner aux hôpitaux publics, je récoltais de l'argent, de la nourriture, des médicaments... mais discrètement, car dès que des structures humanitaires étaient médiatisées, le gouvernement nous en empêchait."
Lille, la lutte continue
En 2013, Cheo décide de partir. "Chávez est mort mais le suivant était dans sa lignée. La manipulation politique, la corruption... tout ça m'impactait trop." Il décolle alors pour la France, avant d'être rejoint plus tard par le reste de sa famille. Un choix qui pourrait bien lui avoir sauvé la vie. "Mon frère qui était aussi très engagé s'est retrouvé dans un centre de torture et on a dû payer pour qu'il ne subisse rien. Il est resté 3-4 jours et il nous a raconté ce qu'il avait vu. C'était horrible."
À Lille, Cheo commence à travailler dans un restaurant, tout en continuant ses actions. "J'ai été contacté par un groupe politique pour participer à une conférence sur le Venezuela, on avait organisé un nouveau référendum et j'envoyais des médicaments au pays par des moyens cachés." Mais en 2017, la police nationale vient le chercher. Il découvre qu'il est fiché comme terroriste au Venezuela, ce qui le pousse, par sécurité, à demander le statut de réfugié politique. Il finit par mettre fin à ses actions humanitaires, puis ouvre Choroni en 2019.
La fin d'une aventure
Depuis, le restaurateur nous remplit l'estomac. Mais plus pour très longtemps. "Je vais vendre le restaurant et peut-être quitter la France", annonce-t-il, fatigué et lassé de l'administration et de la fiscalité françaises qui "m'ont coûté cher en argent et en énergie." D'ici là, il est encore temps de prendre un plat et un verre, pour trinquer à sa santé et à son engagement social.
Si la série vous intéresse, on vous laisse lire le premier épisode sur David, ancien journaliste reporter d'image au Caucase, devenu gérant du Duda's.