Le nom de son restaurant est tout un symbole : Waris, pour Waris Dirie. "C'est un hommage à cette somalienne qui a été ambassadrice de l'ONU qui a lutté contre l'excision qu'elle a elle-même subi, raconte Oumou. Et comme moi, elle a fui un mariage forcé."
La gérante du restaurant loosois avait 12 ans quand sa famille lui a annoncé son mariage avec un homme vivant en Angleterre. "En Guinée, c'est courant de marier les filles quand elles sont jeunes, pour éviter "la honte sur la famille". L'homme avait quasi 50 ans à l'époque et vivait en Angleterre. Il a payé pour m'épouser." Le sort d'Oumou est scellé comme beaucoup d'autres jeunes filles avant et après elle.
La vérité sort de la bouche des enfants
En attendant de rejoindre l'Angleterre, elle part chez un membre de sa famille à Paris, où elle attend ses faux papiers. "Sur ma carte d'identité, j'avais 25 ans, et on m'a habillé pour que je paraisse plus vieille." Mais une agente de police en Angleterre flaire le problème. "Elle m'a demandé mes papiers et a tout de suite compris avec ma tête de bébé que je n'avais pas cet âge-là. J'ai été renvoyée en France auprès de la protection des mineurs. Et j'ai dit toute la vérité."
Un acte de courage qui l'a sauvée. La voilà placée dans un foyer pendant deux ans, avant de rejoindre une gentille famille d'accueil. À partir de là, Oumou a commencé à construire sa vie en France. Non sans embûche. "J'ai subi du racisme à l'école, ma grande sœur me manquait, et j'avais du mal à m'adapter à la nourriture et à la température. J'avais tout le temps les pieds gelés !"
Un calvaire qui dure
En parallèle, sa famille guinéenne ne lâchait pas l'affaire. "Elle n'a pas du tout accepté le fait que je raconte tout aux autorités, et je suis devenue la honte de la famille. Ils ont essayé de me convaincre mais j'ai toujours dit non, même quand j'y suis retournée en 2017. Et je suis la première chez moi à l'avoir fait."
Et l'homme qu'elle devait épouser ? Toujours dangereusement présent. Après des cadeaux et des lettres envoyés quand elle était au foyer, c'est sur les réseaux sociaux que le harcèlement a continué. "Il créait des profils quand je bloquais les précédents, il mentait à mes parents en parlant de moi, il me proposait de mettre un immeuble à mon nom si je l'épousais... ça s'est calmé en 2022." Mais son ombre plane encore dans la vie d'Oumou qui le suspecte de la suivre encore via de nouveaux profils.
Waris, un restaurant engagé pour les femmes
Ce qui n'a pas empêché Oumou de se battre "en gardant le sourire et la foi." Avec Adboul, un autre Franco-Guinéen, elle ouvre E'DA, restaurant africain dans la rue Solférino de Lille en 2020 (qui a fermé depuis). Et en 2024, elle se lance seule dans la création de son restaurant Waris à Loos, où elle invite les Lillois·es à découvrir la cuisine africaine, du poulet yassa au mafé, en passant par le dibi ou encore le tilapia braisé au charbon de bois. Mais pas que.
Et à travers Waris, Oumou veut sensibiliser à l'excision, cette pratique barbare encore très pratiquée, notamment en Guinée. Selon le rapport de l'UNICEF, 230 millions de femmes vivantes aujourd’hui ont subi des mutilations génitales féminines. Dès qu'elle générera des bénéfices, Oumou compte bien donner un pourcentage à une association qui aide les femmes ayant subi une excision.
"Je l'ai subie aussi quand j'avais 10 ans, et ça a gâché une bonne partie de ma vie, avoue-t-elle. J'ai fait une reconstruction récemment mais il m'a fallu quatre ans avant de réussir à franchir cette étape. Et aujourd'hui encore, je fais partie d'un groupe de parole qui regroupe des femmes comme moi et qui vient de temps en temps chez Waris." Si vous cherchez une battante, en voilà une.
Si la série vous intéresse, on vous laisse lire le premier épisode sur David, ancien journaliste reporter d'image au Caucase, devenu gérant du Duda's et le deuxième épisode sur Cheo, le résistant vénézuélien qui fait danser le Vieux-Lille.