Flashback : qui était Philibert Vrau, cet industriel surnommé le Saint de Lille ?

Rome, 31 juillet 2025. Des centaines de milliers de jeunes venus des quatre coins du monde sont rassemblés pour le jubilé. Quelque part dans la capitale italienne, des jeunes Lillois·es de l'association Sanctifio sont là aussi. Mais sur une scène en plein air, en pleine représentation d'une pièce de théâtre. Le pitch : un soldat dans les tranchées reçoit une bobine de fil et une lettre, qui le plonge dans la vie de Philibert Vrau, surnommé le "Saint de Lille".

C'est de lui qu'on va vous parler aujourd'hui. Car sous sa barbe et sa modestie, cet industriel lillois, représentant du catholicisme social, a quand même apporté pas mal de choses à la ville et aux habitant·es qui vivaient dans la misère.

La foi au cœur de sa vie

Mais revenons aux origines. Philibert Vrau est né en 1829 dans une famille catho de la petite bourgeoisie du Nord. Son père, François Philibert Vrau, est un fabricant de fil à coudre et sa mère Sophie travaille à ses côtés. Le petit Philibert est un gamin comme les autres jusqu'à ce qu'il rentre au collège municipal... où il aurait été agressé sexuellement par des surveillants, selon l'historien Bruno Bethouard.

On ne peut rien confirmer, mais il y a quand même de fortes chances pour que ce soit la raison qui l'ait fait perdre la foi pendant un temps. Jusqu'en 1854 pour être exact. À cette date-là, il mène une expérience spirituelle un peu en mode Ouija et il se réconcilie avec le catholicisme, au point de vouloir devenir homme d'Église. Sauf que son père lui dit de se calmer, parce qu'il est bien gentil mais il va falloir qu'il reprenne son business un de ses quatre. Philibert lâche son idée, même s'il restera quand même célibataire jusqu'à sa mort.

Une pelote de fil à coudre vendue par millions

Après une brève histoire de faillite d'une agence lilloise de la Caisse d'Escompte qui tenait, notre Lillois devient le bras droit de son père dans l'affaire familiale jusqu'à sa mort en 1870. Il demande ensuite à son beau-frère et ami Camille Féron-Vrau de le rejoindre pour faire passer l'entreprise au niveau supérieur. Son pote dit oui, lâche la médecine, et devient la deuxième tête de la Maison Vrau et Cie.

Les deux beaux-frères font décoller l'entreprise grâce à un seul produit : la pelote de "fil au Chinois" (du fil de lin à coudre). Des 60 employé·es de son père, le duo passe à 1000 employé·es en 1875, principalement des femmes. 70 millions de pelote de fil de lin sont vendues chaque année, soit 2 pelotes par Français·e. En moyenne par an, leur chiffre d'affaires est de 5 millions de francs d'or, avec des bénéfices s'élevant à 800 000 francs d'or, l'équivalent de 3,2 millions d'euros. Oui, les mecs sont très riches. 

Le papa des ouvriers

Et comme beaucoup de patrons à l'époque, Philibert va être très paternaliste avec sa team d'ouvrier·es. Mais il va aussi être attentif à leur bien-être, en particulier aux femmes et ados, en instaurant des règles à l'époque novatrice : la suppression du travail de nuit pour les femmes, la journée de 10h au lieu de 12h, le repos dominical, les logements ouvriers, la construction d'écoles pour les enfants, la mise en place de caisse de chômage et de retraite et d'autres avantages sociaux.

Dans une période où les grèves ouvrières sont monnaie courante, pas une seule journée de grève n'a lieu au sein de la Maison Vrau et Cie. Et c'est assez fou pour le noter.

Fondateur de l'Université Catholique de Lille

Comme un missionnaire, Philibert essaye par tous les moyens de faire grandir la communauté catholique. Même sur ses pelotes de fil, il était écrit en chinois "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes de bonne volonté."

Impossible de vous lister toutes les actions qu'il a mené pour l'Église catholique mais on peut au moins vous parler de l'Université Catholique de Lille. Car oui, c'est grâce à lui, son beau-frère et sa mère qu'elle est née. Il est même allé voir le Pape Pie IX pour lui présenter son projet et avoir son accord (qu'il a eu).

La plus grosse partie de leur fortune est partie là-dedans. En trente ans, 12 605 491 francs d'or ont été donnés par les Vrau selon l'historien. Le bâtiment du boulevard Vauban, c'est lui et des amis qui en sont devenus les propriétaires pour y mettre les étudiant·es. L'archevêque de Cambrai, le cardinal Régnier a dit en 1875, date d'ouverture que "l'existence de notre université ne tient encore qu'à un fil, mais ce fil est solide, c'est le fil Vrau."

Le cœur de la Catho

Mais ce n'est pas son seul don à la ville. L'école ICAM ? C'est lui aussi. La cathédrale Notre Dame de la Treille ? Il a largement participé à sa création avec Charles Kolb-Bernard. En fait pour la faire courte, il a donné 92% de ses revenus à des œuvres sociales et chrétiennes. Et quand il est mort en 1905, il n'avait plus rien dans les poches. 

À sa mort et à celle de Camille deux ans plus tard, leur testament contenait une demande un peu particulière : "S'il était possible, que mon cœur soit placé dans une des chapelles de l'Université Catholique." Demande acceptée en 1924. Si vous passez dans la chapelle, sachez que leur cœur ont été placés derrière un panneau de pierre.

Si on appelle Philibert Vrau, le "Saint de Lille", ce n'était pas tout à fait le cas. Un procès de canonisation a été réalisé en 1912 et approuvé par 1930 par le Pape Pie XI. Mais la Seconde Guerre mondiale a mis un stop et depuis plus rien. Ce qui fait de Philibert, un saint mais seulement dans le cœur des catholiques lillois.

Sources utilisées :

• Conférence de l'historien Bruno Béthouart à l'Université Catholique de Lille dans le cadre des 150 ans de l'école
• Il était une fois l'Université Catholique de Lille, histoires oubliées des éditions de L'Horloge, 2025.
• Article de La Voix du Nord : « Il a fait don de 90 % de ses revenus » : qui était Philibert Vrau, le « saint de Lille » ?